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Par delà les brumes

La première saison: l'Ombre


La roue de l’année tourne vite, sans attendre ceux qui trainent, ceux qui écrivent dans leur tête mais peinent à trouver le temps de tout jeter sur le papier…

La première saison est l’Ombre. De Samhain (31 octobre) à début décembre, elle invite d’abord à se retourner sur soi. C’est un peu surprenant juste au démarrage d’une formation. Pourtant le temps de Samhain s’y prête, les journées raccourcissent rapidement, le froid devient plus mordant, la nature se replie sur elle-même pour préparer son long sommeil, et il nous reste à nous observer plus en détail. Nos peurs, nos désirs, nos hontes, les souvenirs que nous essayons d’oublier. Il est temps d’investiguer pour savoir qui nous sommes, sans fard, sans faux-semblant. Comment pourrait-on se dire prêtresse sans avoir fait et refait constamment ce travail d’instrospection ? L’école que j’ai choisie base son cycle de l’année sur l’archetype de Morgane la Fée. Elle est liée au monde souterrain et ne craint pas de mettre en lumière ce qu’il y a de pire chez l’homme. L’avantage de cet archétype est qu’il ne montre pas un visage de déesse parfaitement sereine et aimante, elle nous ressemble davantage dans notre vie de femme du monde réel, qui se débat avec toutes les obligations matérielles et qui prépare son encens au milieu des jouets de ses enfants tout en sachant qu’ensuite elle doit faire la liste des courses. Elle nous impressionne moins car elle se débat elle-aussi avec des considérations bien quotidiennes.

L’être humain est ainsi fait qu’il abrite chacun une ou plusieurs failles qu’il tente désespérément de cacher au quotidien. La période d’Ombre demande de se connaître et de reconnaître que nous sommes des humaines. Faire ce travail au démarrage est indispensable car il permet de poser les fondations de l’apprentissage sur des bases saines. Il ne s’agit pas de transformer notre part d’ombre et de la faire disparaître car cela demande le travail de toute une vie. Nous ne sommes pas des bonzes. Nous cherchons à connaître nos failles et nos faiblesses et à les considérer de façon neutre, de façon à pouvoir mieux vivre avec elles mais aussi pour vérifier que nous ne nous laisserons pas tromper par elles. Un chemin spirituel est émaillé d’obstacles dont bon nombre sont posés par nous-mêmes. L’égo peut s’égarer à plus d’un titre sur le chemin et l’esthétique de la prêtresse. Il peut être facile de se leurrer sur le fait que nous sommes seulement concentrées sur la lumière, la gentillesse, l’éveil spirituel, une forme de conseil aux autres, et d’oublier nos propres angoisses, la peur, la colère, l’envie, l’orgueil tout en cherchant à le dissimuler à soi et aux autres.

Alors que les jours vont vers l’obscurité c’est un travail effrayant qui nous fait craindre de nous noyer dans nos propres ombres si nous les laissons émerger. Nous avons essayé toute notre vie de cacher ces défauts, de montrer notre meilleur visage, d’oublier les mauvais souvenirs. C’est là qu’un groupe de sœurs montre sa première utilité, pour avoir un soutien sans jugement, un fil d’Ariane qui nous assure que nous pourrons toujours remonter. Dans beaucoup de contes et d’histoires le héros est poursuivi par un ennemi implacable et inconnu, au fil de l’histoire le héros finit par n’avoir d’autre choix que de se retourner pour lui faire face… et à sa grande surprise de se retrouver face à lui-même. Les mythes sont nourris de cette problématique de la part d’ombre en chacun de nous qui peut devenir tellement puissante qu’elle prend le pouvoir et nous détruit. Les traditions spirituelles disent que seule un éclairage en pleine lumière fait disparaitre l’ombre. Lorsque l’on se regarde dans les yeux sans faux-semblant en laissant finalement de côté le rôle que nous nous efforçons de jouer aux autres et à nous-mêmes, alors nous pouvons enfin transformer l’ombre. Comme lorsque l’on fait face à une immense vague et que notre instinct nous dit de fuir, nous nous forçons à plonger en plein milieu et nous sommes surprises de nous retrouver facilement de l’autre côté.

Ainsi lorsque nous savons finalement que nous essayons de plaire parce que nous avons peur d’être rejetée, que nous sommes avides de reconnaissance, d’admiration et de pouvoir, que nous avons vécu des traumatismes que nous pensions avoir été les seules à connaître et que nous trouvons des personnes qui ont traversés les mêmes épreuves, alors nous savons qui nous sommes. Nous savons que nous ne sommes pas meilleures que les autres, que notre humanité renferme une part moche qui nous fait honte, qui nous peine, qui nous met en colère. Nous apprenons à intégrer ce qui peut être une déception (non la prêtresse n’est pas un être scintillant et toujours souriant) et à poser les bases de notre nouvelle identité, nous sommes des êtres humains qui essayent de s’améliorer en se connaissant et qui progressent lentement.

Comment pourrions-nous nous dire en position d’accompagner d’autres personnes sans avoir éclairé les sous-bassements de notre âme ? Comment pourrions-nous espérer maîtriser la présence de la prêtresse dont le rôle est d’être le témoin des difficultés humaines sans avoir soi-même mis en lumière ses propres peurs, rancœurs et tristesses ?

Ce travail préparatoire n’est pas très glamour et pas très esthétique, mais la saison nous aide. Les brumes et le froid, le temps passé dans la nature et son silence d’hiver naissant nous laissent la place de nous tourner à l’intérieur. Nous nous tournons alors vers cette flamme divine que nous cherchons et qui nous tient la main à chaque pas, qui nous accepte et qui nous murmure que nous ne sommes pas en lutte contre notre nature, mais que nous faisons simplement de nouveaux choix.

Et lorsque nous émergeons nous ne sommes que nous-mêmes et rien de plus. Nous sommes en revanche prêtes à poursuivre vers d’autres apprentissages, la saison de la grande prêtresse qui demande de plonger en nous, en étant moins distraites par tous nos efforts antérieurs pour maintenir notre image et nos apparences.


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